Introduction:donnervieauvirus/fairevivrelaviralité
Depuis fin 2019, le monde vit à l’heure virale. Le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) s’estrapidementpropagé,mettantenexerguela densité planétaire desréseauxdemobilitéhumaine et informationnelle. Il s’est « associé » (Latour 2020) de manière très différente,selon les pays, à des dispositifs de détection, de prise en charge et de contrôle, mais aussi àdes marchés du travail et de denrées essentiels, ou à des relations, formelles ou familiales,d’échange, d’obligation et de care. Le virus est, d’un point de vue biologique, une entitéliminaireetrelationnelle,viable,maisquinepeutvivrehorsdescellulesd’unautreorganisme.Il « prend vie » non par l’attaque virale, mais lorsque son hôte entre en relation avec lui(Napier 2012, Brives 2020). Pour les sciences humaines et sociales, l’objet virus incite ainsi àposer la question :commentfait-onvivrele virus etla viralité ?
Questionbiosocialeetécosocialequiévoquelesrelationsspatialesetsocialesdelatransmission mais également celles qui donnent virulence à l’infection (Lowe 2017) ainsi queles relations entre espèces et habitats qui pourraient faire « émerger » de nouveaux virus.Question épistémologique par ailleurs : par quels modes de savoirs et de détection fait-onentrer le virus dans les relations sociales et politiques ? Question socioculturelle enfin : celledelaviralitéquel’onfaitvivreparlesrécitssurlesagentspathogènesetéclosionsépidémiques (Wald 2008, Quammen 2015) mais aussi par les représentations de migrants,d’étrangers,depopulationsetd’espaces–trèssouventafricains–commevecteursouterrainsde latenceetd’émergencevirale (Auray et Keck2015).
Cenuméroinviteàpenserlaviralitéàpartirdel’Afriqueglobaleselonuneapprochepluridisciplinaire. Il s’agit d’appréhender le virus non seulement comme réalité biologique,maisaussicommeobjetd’informationsoucommelieud’enjeuxquicristallisentlarelationdel’Afrique au monde du point de vue de la construction du risque, des mobilités, de la gestiondesressourcesnaturelles,delaproductiondessavoirsouencoredesinégalitésdesconditionsde vieet despolitiquesde prévention etdesoins.
Noussollicitonsdesarticlesàpartirdesthématiquesesquisséesci-dessous.
- L’Afrique«terredevirus»
Viralité et Afrique sont deux notions consubstantielles dans l’imaginaire occidental. Dès lespremières rencontres avec les explorateurs et administrateurs coloniaux, l’Afrique apparaîtcomme le pays des fièvres et donc comme le tombeau de l’Homme blanc (Dozon 1995). LesAfricains,vecteursdefièvrejaune,maisaussidemaladiesnonviralescommelepaludisme,latrypanosomiase humaine africaine et la peste, étaient représentés comme « réservoirs àvirus », justifiant la ségrégation raciale des villes (M’Bokolo 1982) ainsi que les campagnesmilitariséesdedépistage,detraitement,deprophylaxieetdedéplacementdespopulations
(Lachenal 2014). On a expérimenté, sur les corps africains, de nouveaux vaccins viraux dontcelui contre la fièvre jaune et celui contre l’hépatite B. On a également mené en Afrique descampagnesdevaccinationdemasseantivarioliqueetantirougeoleuse.Alorsquel’expérimentationvaccinalecontinue,lecontinentestaussiaccuséde« résister »àl’éradication de la polio (Yahya 2007). Dans ce contexte, l’Afrique est souvent pensée commesièged’unemenaceviraleàcontenirdanslacontinuitédel’imaginairecolonialdelavulnérabilité« Blanche »(Anderson1996).Lecontinentoccupedecefaituneplacedominantedansl’imaginairebio-sécuritairenéolibéral (Cooper2008, Wald2008).
Avec la Covid 19, les représentations ont semblé s’inverser dans un premier temps, pendantquelques mois, l’Occident a été une menace pour l’Afrique. Toutefois, l’absence de capacitévaccinale vient de nouveau installer le continent comme siège de(s) menace(s) virale(s) àvenir. Dans ce numéro spécial, nous souhaitons penser la longue durée du rapport construitentrel’Afriqueetlesvirus.Dépassantl’objetbiologiquevirus,onvoudradoncs’interrogersurla viralité des représentations qui circulent sur le continent, mais également sur le continenteuropéenquiémergenon plusentantqu’eldorado, mais “tombeaude l’hommenoir”.